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Vidéosurveillance : l’oeil des pouvoirs

Le ministère de l’intèrieur prÈsente…Puisqu’une certaine insécurité revient sur le devant de la scène à travers des discours musclés et des mesures spectaculaires, nous allons évoquer une de ces techniques qui permet de renforcer un certain ordre.

Installées dans des banques et magasins de luxe dans les années 70, les caméras de surveillance se sont peu à peu immiscées dans de nombreux espaces de vie, de travail et de consommation quotidiens. On ne compte plus les axes routiers urbains, les bus, les rues, les parkings, les copropriétés et entrées d’immeubles qui sont équipés de caméras. Sans parler des entreprises.

La législation, lentement, a suivi tant bien que mal l’évolution du phénomène. La loi sur la vidéosurveillance dans les entreprises a été mise en place par Martine Aubry le 31 décembre 1992. Elle a entériné une pratique qui se généralisait un peu partout et qui relève à présent du code du travail. Obligation est faite de consulter le comité d’entreprise et d’informer tous les salariés de l’instauration de caméras.Entre temps, la C.N.I.L. (Commission nationale informatique et libertés) dans sa mission de contrôle des pratiques liées aux nouvelles technologies et inspirée par la loi Informatique et Liberté du 6 janvier 1978, avoue son impuissance à mener sa tâche, notamment dans le contrôle des installations vidéo. Elle demande des garde-fous juridiques pour l’usage des caméras.

1995, c’est l’année de la loi Pasqua qui à son tour va légiférer la vidéosurveillance. À partir de ce moment là, l’installation des caméras sur la voie publique ou dans les lieux privés ouverts au public sont soumis à déclaration et à accord préfectoral délivré à l’aide d’une commission départementale présidée par un magistrat. Le public doit être clairement informé de l’existence de caméras et la conservation des bandes enregistrées ne doit généralement pas excéder un mois. Amendes et peines de prison sont censées sanctionner les écarts éthiques en la matière.

Prolifération

Ces derniers mois, les communes de Vaulx-en-Velin, Beaucaire, Montpellier, Lyon… ont fait parler d’elles avec des élus désireux de mettre la population sous surveillance. Il faut savoir que 8 % des demandes d’installation de vidéosurveillance provient des collectivités locales. Dans les entreprises, le phénomène est encore plus important puisqu’on estime à 80 % le taux d’équipement en caméras. Les particuliers, qui ne sont pas en reste, ont la possibilité d’installer chez eux une telle panoplie pour environ 3 500 F, et le marché explose faisant chuter les prix. De façon générale, on estime aujourd’hui à plus d’un million le nombre de caméras installées en France. Et ce chiffre croît chaque année de plusieurs milliers.

L’oeil du pouvoir politique…

La vidéosurveillance est à percevoir comme un moyen technique d’asseoir un rapport de domination. À différencier tout en le mettant en perspective avec divers moyens de " traçabilité " individualisés (cartes à puce, téléphones portables, ordinateurs…), l’espionnage par caméras se révèle être une pratique instaurée par les pouvoirs sur les gouvernés. Ainsi, s’il est courant de voir un maire généraliser la surveillance de " ses " administrés, on n’a jamais vu ceux-ci imposer une caméra dans le bureau des élus pour chasser les fraudes. Pourtant la délinquance en col blanc et financière défraie la chronique et coûte plus cher à l’État que les voleurs d’autoradios ne font dépenser aux assurances. La classe et le pouvoir politiques ont donc les moyens de surveiller leurs opposants, mais aussi les SDF et autres indésirables de toutes sortes dont le profil évolue au fil des sensibilités des élus : les immigrés, les pauvres, les jeunes… A Vitrolles, l’ancien maire socialiste a installé des caméras qui pourrait être utilisées aujourd’hui par Mégret pour repérer ses opposants. On peut élargir (et on le doit !) une telle démonstration à l’État, et le résultat en sera plus terrifiant encore.

… et économique

Toujours dans le même ordre d’idées, les caméras permettent aux employeurs de créer les conditions pour optimiser rentabilité, docilité et terreur. Selon une étude, les motivations des entreprises pour employer la surveillance vidéo vont de la prévention du vol interne et de l’absentéisme à la qualité du travail. On sait tout de vous, on peut tout contre vous. Des magasins ont tenté de licencier du personnel en utilisant une bande vidéo censée démontrer les griefs formulés ; la RATP, il y a un an, a prêté ses enregistrements à la société de nettoyage COMATEC pour identifier les grévistes de cette entreprise alors en conflit avec la direction.

Dans un autre ordre d’idées mais toujours avec une logique dominatrice, les caméras qui nous filment dans les supermarchés permettent aux professionnels du marketing d’étudier en temps et situation réelle les comportements des clients. Ils en tirent matière à optimiser les stratégies de ventes et influer sur le comportement du consommateur. Donc à le déposséder de son pouvoir de décision.

Faut-il éborgner les pouvoirs ?

A ce stade de la réflexion, et parce qu’elle peut et doit se prolonger dansune dynamique de luttes là où c’est nécessaire, la question de savoir s’il faut accepter une restriction législative de l’usage de la vidéosurveillance se pose. En réalité, tout le monde, partisans comme opposants, s’accorde à reconnaître que les dérives existent. Selon la Gazette des communes (décembre 1998), 29 289 installations seraient déclarées mais 120 000 sont réellement en fonctionnement ! Un membre de la C.N.I.L. avouait ainsi : " il reste beaucoup d’installations clandestines ". Pourtant la première obligation faite à ses utilisateurs est de la déclarer… On peut imaginer ce que deviennent les autres obligations préconisées… Quant aux questions liées à l’éthique nécessaire pour une gestion " démocratique " des caméras, nous savons tous combien cette notion fluctue au fil des époques et des villes. Aujourd’hui, les écoutes téléphoniques se pratiquent à grande échelle et sans contrôle parfois, alors que c’est une pratique qui est sérieusement balisée juridiquement.

En réalité, si nous voulons éviter qu’un certain ordre règne dans les rues comme dans les têtes, il faut s’opposer simplement à toute installation vidéo. Nous ne pouvons nous contenter de promesses vertueuses car l’expérience montre qu’il est plus facile d’empêcher l’installation d’un tel système que d’en demander le retrait après coup.

L’opposition existe

Au gré de l’actualité, les résistances perdurent. À la plate-forme postale de Créteil-Marais, les postiers ont lutté contre le projet de la direction visant à installer 32 caméras et à badger les salariés. À Vaulx-en-Velin, bien qu’il n’ait pas pu empêcher le maire (PC) d’aboutir, le collectif SOS-vidéosurveillance reste actif. Idem pour le Collectif de Levallois-Perret " Souriez vous êtes filmés ". Ils ont donc proposé de mettre en place, avec des participants de Limoges, les groupes FA du Gard et de Montpellier, une journée d’action nationale contre la vidéosurveillance (1). Toutes les initiatives (tracts, manifs, happenings…) seront les bienvenues et permettront sans doute d’élargir la réflexion sur le mensonge sécuritaire, les moyens de contrôles sociaux, un certain développement des villes qui se dessine.

L’exploitation de l’insécurité

La multiplication des politiques sécuritaires et le développement idéologique qui l’inspire se retrouvent dans toute la classe politique, de l’extrême droite à la gauche plurielle. Les anarchistes n’ont pas pour habitude de faire leur chou gras de l’exploitation démagogique de la peur. Ils préfèrent dire que les arsenaux sécuritaires, depuis le développement des polices parallèles privées ou municipales, au quadrillage du territoire par un redéploiement de gendarmerie, en passant par les mesures " sociales " du type suppression d’allocations aux familles en difficultés, sans oublier tous les outils technologiques utilisés à ces fins ne font que barrer notre horizon. On ne répond pas par des mesures répressives qui se renforcent sans cesse à une société de classes où il ne s’agit de rien d’autre que de l’instauration d’un ordre sauvage étatique en prévention des soubresauts d’une société qui a la peur au ventre et l’incertitude comme horizon indépassable. Nos vies sont quadrillées, nos libertés balisées, nos trajectoires fichées, nos intimités repérées et nos comportements normalisés sur fond de partages des misères. Et ce n’est pas l’amendement de Jean-Pierre Brard (député communisant) qui nous rassurera : en décembre, l’Assemblée nationale a adopté dans le cadre de la loi de finances 1999, l’interconnexion entre les fichiers de la sécurité sociale et ceux des impôts. Juppé l’a rêvé, Jospin l’a fait.

Daniel - groupe du Gard

(1) Pour plus de précisions : Collectif " Souriez vous êtes filmés " Maison des ensembles rue d’Aligre, 75012 Paris

 

http://federation-anarchiste.org le Monde Libertaire